Le service civique obligatoire est, selon moi, une monumentale erreur. Précisons cependant que ce n’est pas tant le service civique qui est contestable que le fait de vouloir l’imposer sans distinction à toute une génération.

Qu’est-ce que le service civique ? C’est un dispositif légal qui permet à des jeunes de 16 à 25 ans de s’engager dans le milieu associatif ou dans certaines administrations. En soi, c’est très bien : si des gens veulent s’engager au service d’autrui, leur faciliter la tâche ne peut être que positif.

Toutefois, vouloir imposer cet engagement à plusieurs millions de personnes sans distinction autre que l’âge est une énorme erreur. Il y a des arguments pour parfaitement recevables, tels que la cohésion nationale ou l’engagement citoyen, et la très grande majorité des citoyens français est pour (ce qui est en en soi très révélateur d’un état de fait qui sera abordé en fin de cet article).

Toutefois, les arguments contre sont tellement solides qu’il est difficile de ne pas en tenir compte. Dans cet article, je vais vous exposer les arguments qui sont à mon sens les plus pertinents.

Le service civique obligatoire, philosophiquement absurde

Le mise en obligation du service civique revient à ce que l’Etat utilise son monopole de la légitimité de la violence physique pour disposer de votre temps. On peut faire toutes les contorsions intellectuelles et idéologiques possibles, on en reste fondamentalement à cette réalité.

L’Etat, ou à fortiori les électeurs ayant répondu favorablement à un éventuel référendum, s’arroge donc le droit de disposer du temps de toute une classe d’âge. Sous quel motif, me demanderez-vous ?

Sous le motif que certains représentants de la jeunesse ne respectent plus l’ordre républicain. C’est difficile à croire mais on en est là aujourd’hui, sanctionner des centaines de milliers de personnes pour en toucher quelques unes.

Et moi qui croyais que la punition collective était interdite…

Le service civique obligatoire, techniquement absurde

Une fois nos 800 000 jeunes serfs choisis, on leur fait faire… quoi ? Non parce que je veux bien que l’engagement associatif obligatoire soit une réalité séduisante, mais est-ce qu’il y a 800 000 postes par an à pourvoir dans le domaine associatif ? Evidement non, il faut donc l’étendre aux administrations publiques.

Même si ça ne dérangerait probablement pas certains, l’idée d’être obligé de faire des photocopies dans le sous-sol d’une association ou d’une mairie pendant neuf mois pour ne pas avoir à payer une amende de 15 000€ n’est pas ma conception de l’engagement citoyen.

Nos esprits chagrins veulent de plus couper ces ilotes de leur famille le temps de ce service civique, sur le modèle de ce qui se faisait à l’époque du service militaire. Le plus observateurs remarqueront que les infrastructures pour ce faire n’existent plus, étant donné que de nombreuses casernes ont fermé entre-temps. Et donc ? On entasse ces jeunes dans des hangars à bestiaux ? On les fait dormir dehors ?

Et quand bien même, en grands seigneurs, on autoriserait ces jeunes à rentrer chez eux le soir, comment font les plus précaires d’entre eux ? Ceux qui auraient besoin de trouver un travail correctement rémunéré ? Ils travaillent pour un Etat qui ne leur donne que de quoi subsister en échange des travaux ingrats qu’ils ne peuvent éviter sous peine de devoir payer une amende qu’ils ne peuvent pas payer.

C’est un modèle de société intéressant : l’esclavage par la précarité.

A la fin de cet article, prenez deux minutes pour penser sérieusement à ce qu’implique cette idée de législation, sortez du schéma traditionnel pour/contre et pensez à toutes les implications de cette loi pour des centaines de milliers de vies.

Le service civique obligatoire, logiquement absurde

Vouloir imposer une période de rupture dans le travail ou les études de toute une génération est une idée séduisante pour beaucoup. J’ai d’ailleurs pu lire ici et là des commentaires d’une grande délicatesse à ce sujet :

Les commentaires ci-dessus ne sont pas les pires sur le sujet, mais il faut bien prendre la mesure de ce qu’implique le fait que certains y sont ouvertement favorables par désir d’avoir collectivement des serfs taillables et corvéables à merci selon leur besoins et envies.

C’est-à-dire qu’on assiste à la situation incroyable de voir des adultes responsables, ayant donc le droit de vote, demander à l’Etat que celui-ci ordonne à toute une génération de faire des travaux ingrats (balayer les rues, faire les photocopies, déblayer la neige, assister les handicapés et personnes âgées…)  sans ou avec une faible rémunération et sans possibilité de refus. Ça fait vraiment froid dans le dos.

Quand à d’autres, l’idée que des jeunes puissent être légalement obligés de se faire « briser en deux », d’aller « au cachot » ou de « crapahuter à coups de bottes » les excite. Sans commentaire.

Toutefois, il faut bien être conscient que les « jeunes » ne sont pas un bloc uni. Un citoyen de 20 ans peut être :

• Un étudiant à plein temps
• Un étudiant en alternance
• Un salarié
• Un entrepreneur
• Un chômeur
• …

Je vous laisse donc expliquer à un jeune créateur d’entreprise ou à un étudiant impliqué dans ses études qu’il doit tout laisser tomber pour aller balayer les rues, parce qu’une majorité de la société pense qu’il soit s’engager au motif que quelques personnes de son âge ont failli.

Bon courage.

Le service civique obligatoire, intellectuellement absurde

Le service civique obligatoire est une faillite intellectuelle, car il est porteur d’un esprit de lutte des générations et d’esprit revanchard sur les plus jeunes. Ce n’est en soi pas très étonnant, une lecture intéressante pour comprendre cet état de fait est Why Nations Fail de James Robinson et Daron Acemoglu, économistes respectivement à Harvard et au MIT.

Ces économistes nous expliquent que, dans une société démocratique, l’Etat se conforme aux préférences de la majorité des citoyens et l’impose à tous. Or, il faut être conscient que l’électeur moyen français vieillit, il a aujourd’hui plus de 50 ans, et aura probablement plus de 55 ans dans les années à venir.

Ainsi donc, l’obligation du service civique n’est que l’émanation des préférences d’un corps social vieillissant, qui ne voit pas de mal à disposer du temps de la jeunesse comme il l’entend, mais hurle dès que l’on ose toucher à ses avantages, comme par exemple le remboursement des cures thermales par la Sécurité Sociale.

A partir de là tout est permis, un engagement citoyen obligatoire pour disposer de serfs corvéables à merci, un débat sur un SMIC spécial jeune pour les payer en-dessous du minimum, et demain ?

Une dystopie gérontocratique ? La France de 2015, cher lecteur.

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